Je préviens, la nouvelle est trèèèès longue ^^ (six pages en Word ^^)
C'est pas du tout le même style que la nouvelle fantastique, hein. Enfin, bon, j'espère que vous aimerez bien
La Malle aux livres
18h12. Encore trois minutes. Les derniers clients payaient leurs achats avant de refermer la porte de la librairie.
Le tintement de la clochette lui signala qu’il était seul.
Le libraire retira ses lunettes et les frottas consciencieusement. Il promena sur les rayons un regard tendre.
Le vieux Julio était ce qu’on peut appeler un amoureux des livres. Chaque soir, il les réalignait, les reclassait minutieusement et secouait la tête en soupirant devant les couvertures écornées.
De plus, il aimait le travail bien fait. Il se faisait un devoir de lire chaque livre qu’il avait en magasin, mais c’était plus un plaisir qu’autre chose.
TOC… TOC TOC. Un long suivi de deux courts.
La porte s’ouvrit et une bourrasque s’engouffra à l’intérieur de la librairie. Une jeune fille à la chevelure ébouriffée apparut dans l’encadrement de la porte.
Elle prit une chaise et s’affala dessus.
Julio alla fermer la porte à clé et partit ensuite préparer un jus d’orange à son invitée.
-Alors ?
Un soupir lui répondit.
-Raconte.
Et Evelyne raconta.
Depuis qu’elle avait treize ans, elle écrivait des nouvelles. « Une manière d’échapper au monde » avait-elle répondu à son grand-père quand il avait découvert ses écrits.
Pour Evelyne, ses histoires n’avaient pas grande valeur. Elle ne s’était jamais découvert un talent particulier pour l’écriture, mais son grand-père, lui, l’élevait presque au rang de prodige.
Peu à peu, elle ne s’était plus sentie pantin de ses émotions, mais Dieu de ses personnages. Elle avait droit de vie et de mort sur eux.
Ainsi, elle avait eu l’idée un peu folle de se faire éditer. Elle avait envoyé son manuscrit à différentes maisons d’édition. Elle était confiante, mais elle avait vite déchanté.
-Encore deux refus… Je commence à croire que mon manuscrit ne vaut rien. Je ferais mieux de le brûler, ce sera sa seule utilité.
Julio posa sa main sur celle d’Evelyne.
-Heureusement que tu es là, Julio… A toi, je peux me confier. C’est tellement dur de paraître heureuse quand rien ne va. Tellement dur de sourire quand on a envie de pleurer. Tellement dur de vivre dans un monde où la question « comment tu vas ? » n’a qu’une seule réponse. C’est tellement dur, Julio…
-Mais tu es forte, lui dit-il. Et puis, je suis là. Tu peux venir te reposer, souffler un peu. Le temps passe si vite, dehors. Regarde-moi : parmi mes livres, j’ai l’impression qu’il s’est arrêté.
Evelyne sourit faiblement.
Depuis toujours, Julio avait été là pour elle. Elle l’avait rencontré il y a longtemps. A huit ans, elle était entrée dans sa librairie. Elle avait découvert un livre qui lui semblait fantastique. Elle s’était mise sur la pointe des pieds, un petit bout de la langue dépassant de ses lèvres, le corps tendu à l’extrême en essayant d’attraper le bouquin.
Soudain, elle avait vu une main le prendre et le lui tendre. Le visage de cet homme-là était bienveillant. Il lui souriait. Julio.
Depuis, elle était venue chaque jour après l’école. Elle faisait semblant de regarder les ouvrages, mais elle était fascinée par les yeux rieurs du libraire.
Peu à peu, elle lui avait raconté ses journées.
« Dix-huit ans, pensa Evelyne, dix-huit ans que je le connais et il n’a encore jamais oublié mon jus d’orange. »
Elle promena son regard sur les étagères remplies de livres.
-Qu’est-ce que je dois faire, Julio ?
-Espère et persévère.
Toujours concis, le vieux Julio. Jamais un mot en trop. Tout dans le regard.
-Je veux bien mais…
Il attendit qu’elle poursuive.
-Mais je n’en peux plus. Je suis tellement découragée. Mon manuscrit ne vaut-il rien ? Qu’est-ce qu’ils lui reprochent ? Et toi, Julio, pourquoi n’as-tu jamais voulu le lire ? Tu doutes tellement de moi ?
-Il faut que tu te fasses une opinion par toi-même. Ne prends pas celles des autres pour les faire tiennes. Ce qui importe, ce n’est pas ce que j’en pense, mais ce que toi, tu en penses.
-Les éditeurs se moquent bien de ce que je pense, dit-elle avait un sourire amer.
-Qu’est-ce que tu en penses, toi ?
-Des éditeurs ? Eh bien, ils sont trop difficiles. Tout le monde ne sait pas se hisser à la hauteur de Zola ou de Maupassant et…
-Tu sais très bien de quoi je veux parler.
-De ce que j’ai écrit ? Mais évidemment que je trouve ça bien !
-C’est ton opinion ou celle de ton grand-père ?
Un soupir.
-Je trouve ça pas mal. Ce n’est pas parfait, bien sûr…
-Rends-le parfait, alors.
-La perfection n’est pas de ce monde. On aura toujours quelque chose à reprocher. Il y aura toujours du négatif…
-Approche-toi de la perfection.
Julio glissa deux doigts sous le menton d’Evelyne et lui redressa la tête. Une larme coulait le long de sa joue pour finir à la commissure des lèvres.
-Regarde-moi.
Elle leva un regard embué.
-C’est dur. C’est très dur. Mais ce n’est pas impossible. Impossible n’est pas français, tu m’entends ? Impossible n’est pas français.
Evelyne essuya ses yeux.
-Merci, lui dit-elle.
Elle sortit.
Julio prit le verre et le lava. « Pauvre petite, pensa-t-il, elle ne mérite pas ça. »
Il alla fermer la porte à double tour puis éteignit les lumières.
Julio habitait juste au-dessus de sa librairie.
Il l’avait baptisée « La Malle aux livres » en souvenir de son rêve d’enfant.
Petit, Julio avait toujours imaginé le grenier de ses grands-parents comme celui des histoires que lui lisait sa sœur, le soir. Un grenier avec un grand miroir, des vêtements d’un autre temps mais surtout, surtout, une grande malle remplie de livres.
Il se voyait déjà soufflant sur le couvercle, provoquant des volutes de poussières. Il sentait presque ses doigts sur la serrure rouillée, faisant jouer les mécanismes. Il entendait le déclic lui indiquant que la malle était ouverte. Il s’imaginait l’ouvrant délicatement, découvrant, émerveillé, les volumes qui dormaient depuis longtemps, et effleurant du bout des doigts les reliures de cuir, un frisson lui parcourant le dos. Mais surtout, il sentait déjà l’odeur de livres anciens, frémissant à l’idée de lire tous ces ouvrages.
Aussi, quand sa grand-mère céda devant ses demandes pressantes, quelle ne fut pas sa déception en découvrant un grenier presque vide, avec seulement quelques caisses en carton tout aussi vides.
-Où elle est, la malle ? demanda-t-il, des larmes dans la voix.
Sa grand-mère le regarda d’un air interrogateur.
-Elle aurait dû être là… murmura-t-il.
Il ferma les yeux et pensa : « Elle est là, c’est juste que je ne l’ai pas vue. » Quand il les rouvrit, le grenier était toujours aussi désespérément vide.
Il se laissa tomber sur le sol et donna libre cours à ses larmes.
-Que t’attendais-tu à trouver ? lui demanda sa grand-mère.
-Une… une malle, répondit-il entre deux hoquets.
Elle lui caressa gentiment les cheveux.
Oui, c’est à ça que pensait Julio en fermant sa boutique. Il comprenait ce que ressentait Evelyne. Ce n’était pas le désespoir, mais la désillusion.
Posté près de la fenêtre, emmitouflé dans un peignoir, Julio imaginait Evelyne rentrer chez elle et découvrir son deux-pièces toujours aussi vide.
Elle avait eu un petit ami pendant cinq ans. C’avait été très fusionnel. Et puis, un matin, elle s’était réveillée seule dans son lit, avec juste un papier sur l’oreiller. « Au revoir » était-il écrit. Rien de plus. Elle l’avait cherché partout, mais il semblait s’être évanoui dans la nature.
C’était il y a trois mois, mais elle espérait toujours.
Le lendemain matin, Evelyne s’éveilla à neuf heures. Ca lui laissait deux heures pour se préparer avant d’aller travailler.
Elle essaya diverses tenues pour choisir finalement un t-shirt et un jean.
On l’engageait pour garder des enfants chez des personnes fortunées. Aujourd’hui, elle devait garder deux adorables petites filles. Elle devait bien ramener un peu d’argent en attendant que son manuscrit soit publié. « S’il l’est un jour » pensa-t-elle. Elle chassa aussitôt cette idée.
A onze heures précises, elle se présenta à la porte de la villa. La mère la fit entrer puis partit aussitôt.
Angela et Stéphanie l’attendaient.
-Alors, les filles, on fait quoi ?
Elles se regardèrent avec un sourire malicieux.
Les deux petites emmenèrent Evelyne dans leur chambre.
Elles s’affairèrent autour d’elle. Après une heure et demie, elles lui présentèrent un miroir.
-T’es belle, hein ?
Evelyne rit aux éclats. Angela et Stéphanie lui avaient fait deux couettes, mis du rouge-à-lèvres carmin, rosit les joues à l’excès et mis du fard à paupières d’un jaune criard.
-Oui les filles, je suis très jolie comme ça.
-Maintenant, on joue aux danseuses !
Ainsi donc, Evelyne se trémoussa en rythme avec les deux petites.
Après avoir joué à « on dirait que tu serais la maman et qu’on serait tes filles » et à la pâte à modeler, Evelyne partit sous le regard interrogateur de la mère.
[Je vous mets la suite sur un autre article parce que sinon, c'est trop long et je sais pas l'envoyer ^^]